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En 2011, Maisons du Monde (MDM), une entreprise française spécialisée dans la décoration intérieure et l'ameublement, s'est associée à Earthworm Foundation (anciennement TFT) pour lancer un ambitieux projet d'agroforesterie en Inde. L'objectif était simple mais révolutionnaire : planter des arbres de sheesham (Dalbergia sissoo) et renforcer la résilience des agriculteurs dans les États du Pendjab et de l'Haryana, où l'agriculture est intensive. Plus de dix ans plus tard, le projet a touché plus de 2 400 agriculteurs, s'étend sur 12 912 hectares et est devenu un modèle pour l'intégration de la plantation d'arbres à la santé des sols, à la biodiversité et aux moyens de subsistance ruraux.
Le projet Sheesham est né de l'idée que l'agriculture arboricole pouvait apporter des avantages environnementaux et économiques à long terme dans une région confrontée à la monoculture et à l'utilisation excessive de produits chimiques. Le Pendjab et l'Haryana, greniers de l'Inde, ont connu un déclin constant de la qualité des sols et de la biodiversité en raison des pratiques agricoles conventionnelles. Le projet Sheesham a introduit un modèle d'agroforesterie dans lequel des arbres sont plantés en bordure des champs, ce qui permet de faire revivre les méthodes traditionnelles, de créer des réserves de bois et d'encourager une relation plus harmonieuse entre l'agriculture et la nature.
« C'est l'un des seuls projets dans notre région qui fait revivre notre tradition de plantation d'arbres. Cela nous rappelle ce que faisaient nos grands-parents. »
De 2011 à 2021, le projet s'est étendu à 269 villages, dont 119 au Pendjab et 150 dans l'Haryana, et a mobilisé 2 417 agriculteurs. Les agriculteurs participants étaient issus de divers horizons, allant de petits propriétaires fonciers à de grands exploitants agricoles. Le projet ne se limitait pas à la plantation d'arbres, mais visait également à intégrer l'agroforesterie dans les pratiques agricoles grâce à des formations régulières, un soutien sur le terrain et la participation des communautés.
Dans les deux États, 20 000 jeunes plants de sheesham ont été plantés grâce à des partenariats avec des pépinières locales. Ces pépinières ont également été une source d'emploi pour les femmes de la région, qui ont joué un rôle clé dans la gestion des jeunes plants et la logistique.
Le projet comprenait également des campagnes d'éducation à l'environnement dans les écoles, notamment une campagne créative de peinture murale visant à sensibiliser les enfants à la biodiversité et à la plantation de sheesham.

Des évaluations visuelles et en laboratoire ont révélé un problème évident : les sols de nombreuses exploitations agricoles, en particulier au Pendjab, étaient compactés et pauvres en carbone organique, symptômes d'une utilisation prolongée de produits chimiques et de pratiques agricoles non durables.
De nombreux agriculteurs savaient que quelque chose n'allait pas avec leurs sols, mais ils n'avaient pas accès aux outils ou à la formation nécessaires pour améliorer la situation.
« Nous savons que la qualité des sols se détériore, mais nous ne recevons pas d'aide appropriée ni de rapports réguliers de la part du gouvernement. »
Earthworm Foundation a réagi en introduisant un diagnostic de la santé des sols à l'aide de la méthode VESS (Visual Evaluation of Soil Structure) et en aidant les agriculteurs à interpréter les résultats. Il ne s'agissait pas seulement de données techniques, mais d'un sujet de conversation dans les champs.
Une avancée décisive a eu lieu avec la visite des microbiologistes renommés Claude et Lydia Bourguignon, dont les démonstrations sur place ont permis de traduire la science du sol en quelque chose de compréhensible pour les agriculteurs. Leur crédibilité et leur clarté ont donné du poids aux recommandations de Earthworm Foundation, incitant les agriculteurs à repenser la façon dont ils traitent leurs terres.
« Nous utilisons des engrais et des produits chimiques sans savoir ce dont le sol a besoin. Nous aimerions que quelqu'un nous enseigne de meilleures méthodes. »
Earthworm Foundation s'est appuyée sur ce besoin pour offrir un soutien sur le terrain, encourager l'utilisation d'intrants biologiques et élaborer avec les agriculteurs des plans de régénération des sols plus personnalisés.
Agroforestry Adoption
L'adoption initiale des arbres Sheesham a connu des revers. Les agriculteurs ont exprimé leurs inquiétudes concernant l'ombrage, l'accès aux machines et la vulnérabilité aux maladies et aux parasites.
« Beaucoup de nos arbres Sheesham sont en train de mourir à cause des attaques de termites et de la maladie du dépérissement. Nous avons besoin de jeunes arbres plus résistants et en meilleure santé. »
« L'ombre des arbres Sheesham matures affecte le rendement de nos cultures. Nous voulons cultiver d'autres arbres en plus des Sheesham. »
Earthworm Foundation s'est adaptée. Au lieu de promouvoir uniquement le sheesham, l'équipe a commencé à préconiser la diversification des espèces, notamment le goyavier, le grenadier et le palmier dattier, offrant ainsi aux agriculteurs une voie vers la résilience et un revenu supplémentaire.
Combler le fossé commercial
L'un des défis les plus difficiles à relever était d'ordre économique : l'absence d'acheteurs assurés pour le bois de sheesham ou d'autres produits agroforestiers.
« Nous sommes prêts à planter davantage d'arbres, mais seulement s'il existe un marché viable pour le bois ou les fruits. »
« Sans marché, cultiver le sheesham en grande quantité n'a aucun intérêt économique pour nous. »
En réponse, Earthworm Foundation a commencé à rechercher de nouveaux acheteurs de bois et des partenariats afin de combler le fossé commercial, tout en orientant les agriculteurs vers la plantation d'arbres fruitiers offrant des rendements plus rapides et plus diversifiés. Le passage à l'agroforesterie en tant que stratégie de revenus, et non plus uniquement écologique, a contribué à redynamiser la participation des agriculteurs.
Malgré les défis persistants, un thème est ressorti : la plupart des agriculteurs se sentaient écoutés, soutenus et impliqués.
« Les sessions de formation m'ont aidé à comprendre l'intérêt de planter des espèces mixtes et de prendre soin du sol. »
Avec plus de la moitié des agriculteurs participant au partage de connaissances entre pairs, le projet s'est transformé en un réseau d'apprentissage autonome.
« Après avoir discuté avec d'autres participants au programme, j'ai également commencé à conseiller à mes voisins d'essayer l'agroforesterie. »

L'initiative agroforestière basée sur le sheesham a donné des résultats mesurables sur les plans environnemental, social et économique, démontrant ainsi le potentiel holistique des systèmes régénératifs lorsqu'ils sont ancrés dans les réalités locales.
Couverture végétale et biodiversité
La plantation d'arbres a entraîné une augmentation de la couverture végétale et une amélioration de la biodiversité au niveau des exploitations agricoles. Les agriculteurs ont constaté le retour des oiseaux et des insectes utiles, un signe encourageant dans des paysages soumis à une agriculture intensive.
Séquestration du carbone
Les arbres matures ont contribué au stockage du carbone dans les exploitations agricoles, ajoutant un avantage environnemental à un projet principalement axé sur l'agroforesterie et la résilience des agriculteurs.
Renaissance culturelle
Les agriculteurs ont évoqué la redécouverte des pratiques traditionnelles de plantation d'arbres et la transmission de ces connaissances à d'autres.
Autonomisation des communautés
Avec plus de la moitié des agriculteurs participant au partage de connaissances entre pairs, le projet s'est transformé en un réseau d'apprentissage autonome.
Résilience économique
En intégrant le sheesham et des arbres fruitiers dans les systèmes de culture existants, les agriculteurs ont commencé à développer des sources de revenus à plus long terme, provenant du bois, des fruits et même de pratiques agricoles respectueuses de la biodiversité.
Le projet a aidé les agriculteurs à construire un capital naturel, à savoir des arbres vivants sur leurs terres qui peuvent être récoltés, vendus ou entretenus pour leur valeur générationnelle.
Lors d'entretiens, plus de 78 % des agriculteurs ont déclaré que le projet les avait aidés à constituer un capital, que ce soit grâce à l'augmentation de leurs actifs forestiers, à la fertilité des sols ou à la diversification de leurs sources de revenus futures.
L'évaluation a clairement montré que la plantation d'arbres ne peut être considérée isolément. Pour que l'agroforesterie prospère, elle doit s'inscrire dans un système plus large d'agriculture régénérative. Plusieurs orientations possibles ont émergé : l'intégration de diagnostics de la santé des sols, la planification personnalisée des exploitations agricoles, y compris le soutien à la culture d'autres espèces que les espèces d'arbres introduites, et des pratiques régénératives plus larges.
La connexion avec le marché est un facteur clé dans ces deux voies. Qu'il s'agisse de mettre en relation les agriculteurs avec les acheteurs de bois de sheesham ou de soutenir la vente de produits sans produits chimiques, la création d'incitations économiques favorisera un changement de comportement durable.
Le projet d'agroforesterie du sheesham offre des enseignements précieux à toute organisation cherchant à allier durabilité environnementale et développement rural :
- Co-créer avec les communautés
- Investir au-delà des arbres
- Rester adaptable
Ce projet démontre que lorsque les entreprises s'engagent à long terme à soutenir les communautés dans leurs régions d'approvisionnement, les résultats vont au-delà de la simple conformité : ils contribuent à améliorer les moyens de subsistance, les conditions environnementales et la sécurité de l'approvisionnement en matières premières.
Au cours de la dernière décennie, l'initiative agroforestière Sheesham a évolué grâce à l'engagement des agriculteurs, à des approches adaptatives et à une présence constante sur le terrain. Elle reflète ce qu'il est possible de réaliser lorsque la responsabilité des entreprises s'accompagne d'un soutien communautaire durable.
Le projet prévoit de s'appuyer sur les succès actuels pour renforcer son impact dans des domaines clés. Cette expansion envisagée vise à renforcer les revenus des agriculteurs, à restaurer la santé des sols et à diversifier les systèmes agroforestiers, en tenant compte de l'ensemble de l'écosystème agricole plutôt que de mettre uniquement l'accent sur la plantation d'arbres, en s'appuyant sur les enseignements déjà tirés pour renforcer l'impact là où il est le plus important.