Par Daphné Menthonnex, Member Manager, Earthworm Foundation
Je me souviens de la première fois où j’ai longé la BR-163, cette route qui traverse le Mato Grosso, le « grenier du Brésil ». Des kilomètres sur lesquels défilaient des camions chargés de soja, remontant vers le nord du pays.
Autour, l’immensité : des champs à perte de vue, mais aussi des arbres en bordure, silencieux, fragiles. C’est là que j’ai compris les enjeux liés à la culture de soja. Ce sont des paysages en transformation, des histoires humaines, des choix qui engagent notre avenir commun.
Aujourd’hui, nous avons une raison de célébrer. 30 % du soja brésilien importé en France entre juillet 2024 et juin 2025 a été analysé selon notre méthodologie Zéro Déforestation ni Conversion (ZDC).
Concrètement, cela veut dire que ce soja n’a pas été produit aux dépens de forêts ou d’autres écosystèmes naturels précieux. C’est une étape vers une chaîne d’approvisionnement plus responsable.
Le soja est au cœur de notre système alimentaire : 77 % de la production mondiale sert à nourrir les animaux. La hausse de la demande de produits d’origine animale entraîne l’expansion des cultures, au détriment des terres naturelles, notamment au Brésil.
La France adopte sa Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée (SNDI). Cette stratégie fédère institutions, entreprises, chercheurs, ONG, syndicats agricoles.
C’est dans cette dynamique qu’est né le Manifeste Soja, un engagement historique des distributeurs français visant à ne plus s’approvisionner en soja contribuant à la déforestation ou à la conversion des écosystèmes naturels. Cet engagement est soutenu par le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), les ONG (Canopée, Mighty Earth et Earthworm Foundation) et bientôt rejoint par des industriels.
Earthworm Foundation est choisie pour en coordonner la mise en œuvre.
Je rejoins l’équipe soja européenne. Mon rôle : tester des solutions concrètes pour transformer une filière mondiale.
Ce défi est immense.
Une fois récolté, le soja voyage, se mélange, change de forme, de mains, de pays. Chaque étape complexifie la traçabilité. De plus, les données sont confidentielles. Les quatre principaux traders mondiaux – l’acronyme ABCD (Archer Daniels Midland Bunge , Cargill et Louis Dreyfus Company) – sont responsables de presque 90 % du commerce mondial et exercent une influence considérable sur l'accès aux informations. Nous devions inventer une méthode à la fois ambitieuse, fiable et applicable à l’échelle industrielle.
Inspirés par des années de travail sur l’huile de palme d’Earthworm Foundation et par le comité scientifique de la SNDI, nous avons élaboré la méthodologie ZDC (Zéro Déforestation ni Conversion) avec l’appui de Lidl France.
Le premier pilote n’a pas été validé, faute d’informations suffisantes. Je me souviens de la déception, mais aussi du soutien de nos partenaires. Cette confiance nous a portés.
Nous lançons un second pilote, sur le cargo Ultra Lynx, chargé à Itacoatiara et destiné à Nantes.
Pour assurer son succès, nous nous rendons directement au Brésil. J’y rencontre des producteurs de soja, des transformateurs, des familles, des travailleurs « sans terre ». Leurs récits, leurs inquiétudes, leurs espoirs ont donné un visage humain à la filière. Ce voyage m’a donné l’élan pour la suite.
Le retour en France marque un tournant : l’Ultra Lynx devient le premier cargo validé ZDC. Puis un deuxième. Puis un troisième.
Depuis, nous avons :
- Accompagné Solteam dans l’analyse de 15 cargos ;
- Développé un partenariat avec Louis Dreyfus Company, permettant l’importation de 21 cargos ZDC ;
- Mené un pilote innovant avec COFCO International soutenu par E.Leclerc, le Groupement Mousquetaires et Coopérative U, qui a permis de rassembler les opérateurs d’un port brésilien autour d’un même enjeu : responsabiliser le soja qui y transite.
Au total, plus de 40 cargos ont été analysés, dont plus de 30 validés ZDC. Cela représente plus de 2 millions de tonnes de soja importées en France, sans déforestation ni conversion, depuis 2021. Un volume supérieur aux importations annuelles du pays.
Cargo après cargo, nous voyons des évolutions concrètes :
- davantage de volumes tracés,
- des données plus précises,
- des fournisseurs plus engagés,
- des réflexions sur le traitement des cas de non-conformité.
Ces progrès ont permis de préparer les entreprises aux exigences de la nouvelle réglementation européenne sur la déforestation.
Aujourd’hui, ce que nous célébrons, ce n’est pas seulement un chiffre. C’est la preuve que la transformation est possible. Pas d’un coup. Pas dans l’abstraction. Mais dans le réel, dans les relations, dans la confiance, dans la persévérance.
Je suis profondément fière de ce succès collectif. Merci à nos partenaires français et brésiliens. Merci aussi à mes collègues, qui travaillent avec courage et conviction.
En savoir plus ici: Méthodologie Zéro Déforestation ni Conversion (ZDC)
